Camille Picard : de la France au Japon
Portrait d’une doctorante
De fil en aiguille…
Enfant, elle voulait être vétérinaire ou styliste. Puis, il y eut la période bibliothécaire et comme pour beaucoup, les choix se font de fil en aiguille.
De ses années dans un lycée international où elle débute l’apprentissage du japonais, lui vient l’envie de poursuivre par une licence Relations Internationales spécialité Japon à l’INALCO. « Mais j’ai commencé à avoir de sérieux doutes sur ce que j’allais faire après ! ». Un article sur une maison vieille de plus de 100 ans au Japon (fait rarissime1) la fait s’intéresser à l’architecture et à l’urbanisme. Elle décide alors d’intégrer un master 1 en urbanisme et aménagement.
Très proche de ses grands-parents, c’est « tout naturellement » qu’elle étudie les questions de l’adaptation des politiques de l’habitat menées au Japon face au vieillissement de la population. Son master 2 l’amène sur les sujets de l’accessibilité en France dans le même contexte.
Doctorante en deuxième année, ses travaux de recherche portent sur « la prise en compte du vieillissement de la population dans les politiques du logement au Japon et en France et ses conséquences sur la conception spatiale et fonctionnelle de l’habitat. »
Une thèse sur la prise en compte du vieillissement, comparaison France/Japon
Au printemps 2019, en tout début de thèse, elle part au Japon, conduit des entretiens avec des personnes âgées, visite des lieux de résidence. Entrer dans le vif du sujet, si tôt, seule et à 10 000 km de ses soutiens universitaires a été plutôt déstabilisant pour elle mais « j’y retournerai quand la situation le permettra … »
Aujourd’hui, ce travail souvent solitaire, rythmé par les lectures et les écrits, lui convient bien par nature ! Elle se sent très libre, appuyée et respectée par son directeur de thèse, elle mène ses travaux en toute indépendance. Ils sont actuellement, consacrés à la création d’un « outil » méthodologique qui va lui permettre de comparer la France et le Japon, « … car c’est très compliqué de comparer ces deux pays. J’avais besoin d’une sorte de langage commun. Vieillir n’a pas le même sens dans ces deux pays… Vieillir est beaucoup plus accepté au Japon. Il y a même une fête nationale spécialement consacrée aux personnes âgées ! »
Son travail rigoureux, étayé par les nombreuses données collectées et analysées est enrichi par des entretiens individuels avec des personnes âgées. Cette approche plus personnelle lui donnera une « sensibilité » qu’elle recherche volontairement tout en se posant la question du bon « dosage »
La fréquentation du LAB’URBA, son laboratoire de recherche à l’université Paris Est, est un moment important car il est un lieu de sociabilisation avec ses pairs.
Le financement privé, CIFRE2, lui apporte une sécurité pécuniaire et un « réseau très intéressant » au sein de Leroy Merlin Source où elle est chercheure associée. Elle y fait partie du groupe de recherche « Habitat et Autonomie », un article sur la toilette et le bain au Japon, publié en septembre 2020, est sa première contribution.
Son financeur souhaite que sa thèse apporte des éléments sur les dispositifs concrets qui rendent possible le maintien à domicile (politiques publiques, objets de compensation au vieillissement, services, etc.) mais aussi sur la place des habitants dans ces dispositifs (lien social, acceptabilité des initiatives, etc.).
Ces connaissances sur le Japon ne sont pas ou peu disponibles en langues française et anglaise. Ce travail serait donc un des premiers à être disponible en français.
La recherche, encore la recherche
Alors qu’elle ne se prédestinait pas à une carrière académique (enseignante chercheuse…), après avoir donné son premier cours récemment, elle se laisse encore du temps et après de nouvelles expériences d’enseignement, elle en décidera.
Mais en tout état de cause, elle veut « toujours faire de la recherche ».
Faire de la recherche au Japon ? Il n’en est pas question pour Camille. Le Japon est « un pays extraordinaire qu’il faudrait visiter une fois dans sa vie. Mais c’est trop compliqué d’y vivre quand on est étranger. On s’y ressent étranger très fortement. Être une femme, encore plus ! C’est une société très lourde !
Avant, les femmes, une fois mariées, se consacraient à leurs enfants et à la tenue de la maison. Aujourd’hui, les Japonaises aspirent à plus d’indépendance (pour des raisons personnelles mais aussi économiques) et souhaitent continuer à travailler après leur mariage. Cela explique, entre autres, que le mariage ne soit plus une priorité. Sachant que les enfants nés hors mariage constituent environ 2% des naissances, on comprend que ces facteurs combinés ne facilitent pas la croissance de la population, mais bien son déclin. Et ce n’est pas pour rien qu’ils sont dans cette situation maintenant, qu’ils ne font plus d’enfants… ».
RAPSoDIÂ, toujours la recherche
RAPSoDIÂ3 est une recherche action participative (RAP4) portée par Hal’âge et Camille y collabore sur le terrain de Rouen. Pourquoi avoir accepté d’y participer en plein doctorat ? « C’est un projet super et puis le terrain de Rouen présente de nombreuses similitudes avec le Japon, donc c’est un point de comparaison intéressant dans ma thèse ». Et en particulier ? « L’échelle du quartier et l’aspect politique ».
Son intégration dans RAPSoDIÂ s’est faite en pleine période de confinement, et malgré une connaissance « zoomesque » de l’équipe, elle y a trouvé sa place. Elle se sent encore « junior », mais n’a aucun doute sur sa légitimité et ne se sent pas seule (unique chercheuse universitaire sur le terrain de Rouen, le fonctionnement participatif est particulièrement aidant sur ce point).
Si Camille ne connaissait pas le principe de la recherche action participative, elle est enthousiaste de ce qu’elle découvre. Réfléchir, expérimenter, travailler avec des personnes concernées, des membres de Hal’âge et des universitaires chevronné.e.s répond à son besoin d’ouverture et de découverte. « Dans le monde de la recherche (en France NDLR), il y a beaucoup d’entre-soi, avec un langage propre… Aux États-Unis, des livres écrits par des universitaires sont lus par un public plus large. Le vocabulaire est plus accessible, ils sont plus pédagogues… Même si la recherche a une visée universelle, peu de personnes lisent les travaux universitaires, voire même les articles scientifiques. Et malheureusement si on sort du cadre, on perd en légitimité, en tout cas par rapport aux pairs ».
Cette réflexion l’a amené à démarrer depuis peu un blog5 où elle publiera régulièrement « des petits billets sans langage universitaire, et en anglais pour que ce soit le plus universel possible «.
Camille
Son meilleur souvenir ? Elle a 10 ans, toute la famille s’est réunie pour lui offrir le violon de son arrière-grand-père, restauré pour l’occasion et offert dans un étui réalisé par son parrain…
A part travailler à sa thèse ? Elle coud des vêtements, fait de la céramique et depuis peu compose de la musique sur son ordinateur…
Son très gros défaut ? Elle râle beaucoup, sa maladresse lui en donne l’occasion très souvent !
Et sans hésiter, si elle avait une baguette magique, elle agrandirait son appartement sous les toits de Paris qu’elle partage avec son amoureux et un chat…
Merci à Camille d’avoir parlé librement pour faire le récit de sa (jeune) vie.
Des personnes âgées au Japon et de leur pratique du bain, il en est question dans l’article que nous livre Camille Picard sur le site de Leroy Merlin Source.
Et pour aller plus loin sur son sujet de thèse, voici un bref tableau de la situation au Japon...ICI